14 janvier 2011

Inégalité des chances et illéttrisme républicain

Le Collège Unique reste à faire...

Une classe de 6e, en 1957.

      Toute l'Histoire de l'Éducation, depuis le projet encyclopédique de Diderot et d'Alembert au XVIIIe jusqu'à la loi du 11 février 2005 qui stipule l'obligation de l'État à tout mettre en œuvre pour scolariser les enfants handicapés, est traversée par la problématique de l'instruction du plus grand nombre et de l'égal accès de tous à la culture.
     De ce point de vue, les premières avancées se font jour au lendemain de la Grande Guerre, lorsque les "Compagnons de l'Université Nouvelle", fraîchement sortis des tranchées et issus de tout les milieux sociaux, réclament la mise en place d'un "enseignement démocratique" nécessitant -déjà- "l'école unique" et une "sélection par le mérite". Au sortir d'une guerre dévastatrice et traumatisante, ce projet politique constitue alors un enjeux fédérateur en même temps que progressiste.

     De ce point de vue, il convient de rappeler que jusqu'en 1959 et la création des Collèges d'Enseignement Généraux (CEG), l'instruction dispensée dans le collège actuel est le fait des classes primaires complémentaires et supérieures (qui deviennent en 1963 des Collèges d'Enseignement Supérieurs (CES)), réservées aux enfants issus des milieux les plus favorisés.
Ce système est définitivement abolit en 1975 avec la loi Haby qui, en fusionnant les CEG et les CES, crée le Collège Unique.
     La création du Collège Unique est le fruit d'une volonté civile et politique de démocratisation de l'enseignement supérieur et d'égalité sociale face aux destinées individuelles. Il se pose en outils incontournable de la mise en œuvre de la loi Berthoin de 1959 qui institue l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans et s'inscrit dans la continuité des recommandations du plan Langevin-Wallon publié en 1944 sous l'égide du Conseil National de la Résistance (mise en place d'un tronc commun; des 3 filières au Lycée; volonté affichée de développer la pédagogie).
     Le nombre d'élèves inscrits dans l'enseignement secondaire va dès lors connaître une véritable explosion, conduisant à la construction de nouveaux établissements et à des vagues de recrutement massives de professeurs. Ainsi le nombre d'inscrits dans le secondaire, de 1,5 million en 1970, va s'accroitre continuellement jusqu'à atteindre 2,3 millions en 1998, chiffre stable depuis.

    Dès le début des années 80, le Collège Unique semble avoir réussi le pari de la massification de l'enseignement.
Si de nombreuses voix s'élèvent déjà pour dénoncer l'usage abusif du redoublement, employé comme transition avant une réorientation vers les voies professionalisantes (il faut savoir que 41% des élèves français ont redoublés au moins une fois, contre moins de 20% en moyenne dans les 30 pays de l'OCDE), le Collège enregistre des performances encourageantes: la proportion d'élève d'une classe d'âge parvenant au niveau 3e, de 70% en 1980, monte à 80% à la fin de cette décennie.
De plus, et en dépit d'incidents parfois violents (les archives de Presse sont luxuriante sur le sujet et mènent à relativiser le débat actuel autour de l'insécurité en milieu scolaire) qui émaillent l'image de l'École au quotidien et alimentent les inquiétudes des parents, on estime que le collège est parvenu à produire de la mixité sociale jusqu'en 94.
     Mais si le Collège Unique est parvenu à massifier l'enseignement secondaire, il a échoué à une œuvre bien plus complexe: faire vivre le principe d'Égalité des Chances, corollaire du principe d'Éducabilité qui transparait dans la loi Haby au travers de l'introduction de la pédagogie.


     Le constat n'est pourtant pas nouveau. 
     Dès 1964, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dressait le portrait d'un système scolaire marquée par la reproduction sociale, dans un ouvrage au titre explicite, Les héritiers. Constat réitéré en 1970 avec la publication de La Reproduction.
A l'appui d'une étude qu'il mène sur des étudiants en Lettres dont ils analysent l'origine social, ils lèvent le voile sur un système qui tend à reproduire massivement des élites préétablies. Ils observent ainsi que plus de 50% des étudiants qu'ils interrogent sont fils de cadres supérieurs quand les fils d'ouvriers ne représentent que 5% de l'effectif.
     Ces derniers considèrent cet état de fait comme la résultante d'une sélection qui s'opèrerait par "l'Habitus". Dans la pensée bourdieusienne, ce dernier correspond à un ensemble de représentations et de dispositions propres à chaque individu et qui conditionnent ces modes d'actions. L'Habitus est ainsi le fruit de la socialisation de l'élève et s'inscrit, à ce titre, dans une perspective de classe avec des "Habitus de classes" renvoyant à une terminologie marxiste qui oppose inéxorablement les plus favorisés à ceux qui le sont le moins.
     Concrètement, Bourdieu et Passeron mettent en évidence le fait que les élèves issus des milieux les plus favorisés cumulent des capitaux (économiques, sociaux et culturels) qui leur assurent une progression plus aisée dans le système scolaire (bonne connaissance du système scolaire qui permet d'anticiper l'orientation, capital culturel conséquent, facilités financières d'accès à la culture ou encore réseau de pistons mobilisables, notamment au moment de l'entrée dans les études supérieures).
     En face, les élèves les plus défavorisés cumulent les tares: souvent mal dotés culturellement, ils accèdent difficilement à la culture (tant pour des raisons financières, d'ailleurs, que sociologique: cette catégorie d'élève n'est pas habitué à se rendre au musée, a un contact compliqué avec le livre, etc) et peinent à comprendre ce que l'institution scolaire attend d'eux. En outre, ces derniers ont généralement une piètre -voire médiocre- connaissance du système qui les rends plus vulnérables au moment de l'orientation et rencontrent généralement, lors de leur entrée dans le supérieur, des difficultés financières qui viennent s'ajouter à leurs multiples handicaps dans la poursuite de leurs études.


     Au regard de loi Jospin, votée en 1989, il semble que ce constat soit encore prégnant au crépuscule des années 80...
Et pour cause, celle-ci stipule, dès son article 1er: "L'Éducation est la première priorité de la nation". L'objectif est alors, pour le ministre de l'éducation, de faire parvenir 80% d'une classe d'âge au Baccalauréat, alors que c'est à l'époque la proportion d'élèves...parvenant en 3e !
L'horizon est vaste et lointain, mais la volonté est claire et assumée. Pour se faire, il entend développer un domaine déjà promu par la loi Haby: la pédagogie.
     "La Pédagogie, ce n'est pas donner à boire à un âne qui a soif, c'est donné soif à un âne qui n'a pas envie de boire". Cette formule, que l'on doit à Céléstin Freinet, résume à elle seule le projet pédagogique. Ce dernier consiste à susciter des questionnements, des interrogations, à créer des situations d'apprentissages susceptibles d'éveiller la curiosité des élèves, de les rendre disponibles au savoirs. En ce sens, la pédagogie est l'Art de poser des questions.
Dans la pratique éducative, l'application des principes de la pédagogie amène généralement à l'élaboration de formes d'enseignement plus participatives, plus interactives et pratiques.
     C'est ce qui explique l'hostilité des pédagogues face au modèle du cours magistral, et c'est ce qui a conduit Lionel Jospin à créer les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM), en 1989.

     En effet, le Collège Unique de 1975 reprend dès l'origine le modèle de transmission du Lycée, c'est-à-dire le cours magistral. Un professeur, une classe, une heure. 
"Quel malheur que ces petites Sorbonnes qui envahissent le pays !", disait Alain.
     Hors, les collégiens d'avant 75 n'ont rien à voir avec les collégiens ayant bénéficié de la massification de l'enseignement. Ces derniers sont issus d'origines sociales bien plus diversifiées que leurs prédécesseurs, mais sont sommés de suivre un enseignement calqué sur celui du lycée avec une forte segmentation entre les disciplines et l'absence d'un réel suivi individuel qui crée un fossé d'avec l'école primaire et met en échec de nombreux jeunes collégiens qui ne parviennent pas à s'adapter au fonctionnement de l'institution et qui s'en trouvent exclus.
D'après le pédagogue Philippe Meirieu, la massification de l'enseignement a ainsi "transformé les victimes en coupables de leur propre échec".
     Dans ce contexte, les pédagogues, qui ont su mobiliser le débat public à leur profit, parviennent à imprimer leur marque dans la loi Jospin de 89. En créant les IUFM, celle-ci consacre la nécessité d'assurer une formation pratique et pédagogique des enseignants.

     En 2005, les IUFM sont rattachés aux universités. En 2010, ces derniers sont tout simplement supprimés.
Parallèlement, le niveau requis pour la présentation au CAPES est ré-haussé à BAC+5, contre BAC+3 auparavant. En 1960, on passait le CAPES en sortant de 3e.
     Les enseignants, qui ne bénéficient plus ni de tutorat ni de formation rudimentaire en pédagogie, sont de fait poussés à une spécialisation croissante, sans que leurs aptitudes personnels à enseigner ne soient jamais évaluées...
Sous couvert de restriction budgétaire, des générations entières d'élèves sont mises face à des professeurs non-formés qui ne sont que des érudits dans leur domaine, avec tout les risques qu'un tel pari comporte.
Cette logique de spécialisation forcée embrasse à la fois les professeurs et les élèves, et notamment les lycéens (Cf. Réforme Chatel de 2010), au détriment de la dimension culturelle du savoir et d'une intelligence globale de notre monde, deux pans de la connaissance sans lesquels le citoyens ne peut pas être et qui, selon P. Meirieu, font défaut aux étudiants de premier cycle universitaire.
    

     A n'en pas douter, la démocratisation de l'enseignement est un projet qui reste à faire.
Le système éducatifs français emploie aujourd'hui 1 millions de personnes au service de 15 millions d'élèves et étudiants pour un coût de 120 milliards d'euros environ par an, auxquels l'Etat contribue à hauteur de 54% environ. Le reste est versé par les collectivités locales dans le cadre de la décentralisation de certaines compétences spécifiques.

1 commentaire:

Pertubado a dit…

Andy gression... ça Andy long ;)
Bref
D'abord merci, pour le blog et pour l'article, un peu de culture !
L'école... Ce qui apparaissait aux républicains de la IIIe République comme l'outil privilégié de formation des citoyens de [demain].
Aujourd'hui non seulement on remet l'efficacité de cet outil en cause, mais en plus plus personne n'est bien sûr de ce qu'est un citoyen...
Le devoir de vote ? A l'heure du président par défaut ? La rue alors ? C'est la cité elle-même qui est en redéfinition : Français ? Par la langue peut-être, par quelques traits culturels aussi mais surement pas par mon gouvernement !
Une unité nationale dans un pays mono- ou bi-céphale paradoxe un peu caché, apaisé par des déconcentrations voir des semblant de décentralisation...
L'école Unique... Le mérite ! Comme quoi ce qui paraissait miraculeux hier peut nous sembler insensé aujourd'hui... Humilité et patience.
L'école Unique, ou comment enfermer 12 Millions d'individus en mal d'identité dans un carcan mal adapté à ceux mêmes qui l'ont créé...
Bref, bel article et beaucoup de travail en perspective... Beaucoup de projets à l'avenir mais ce qui compte ce n'est plus de tenir à ses projets, c'est d'avoir la force de les réaliser envers et contre certains qui se prennent pour les représentants de tous...

Amicalement
?.
(PS : je t'avais dis "si je me lève je viens... comme tu as pu le constater je ne me suis pas levé... A demain ;) )

Chronique tarabiscotée d'un citoyen en devenir (Pensez à nourrir les poissons)