Éléments d'analyse structurel et conjoncturel sur la crise du service public de l'emploi
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Une fusion précipitée entre l'ANPE et les ASSEDIC
Annoncée par Jacques Chirac durant son second mandat présidentiel et promise par le candidat Nicolas Sarkozy en 2007, elle résulte de la fusion de deux organismes auparavant distincts : l’Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE), chargée de la prise en charge des chômeurs ; et les ASSEDIC, regroupées au niveau national au sein de l’UNEDIC (Union Nationale pour l’Emploi Dans l’Industrie et le Commerce), qui avait pour rôle de reverser les allocations chômages.
L’objectif politique de cette fusion administrative est alors de permettre une meilleure prise en charge des usagers et un retour plus rapide vers l’emploi. Lorsqu’il présente son programme présidentiel, en 2007, Nicolas Sarkozy estime même qu’elle pourrait permettre à la France de renouer avec le plein emploi dès 2012.
Parvenu au pouvoir, le président Sarkozy présente sa réforme début 2008. Malgré la crise économique et financière qui ébranle le marché de l’emploi et provoque une hausse massive du chômage cette année là, la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC est entérinée et laisse place à une nouvelle administration, Pôle Emploi, le 19 Décembre 2008. Cette nouvelle entité regroupe dès lors 43 000 salariés répartis dans 1500 agences. 2/3 d’entre eux proviennent de l’ex-ANPE, le reste des ASSEDIC. Dans un contexte économique difficile, et alors que les dossiers en retard de traitement s’accumulent (100 000 aux ASSEDIC en décembre 2008), le service public de l’Emploi va connaître une restructuration et une réorganisation sans précédent. A terme, l’objectif est de réaliser de substantielles économies sur le budget de l’ANPE, qui s’élevait alors à 2 milliards d’euros.
Le défi est de taille puisqu’il s’agit dès lors de faire travailler ensemble des fonctionnaires venus d’organisme différent, à l’heure où la Crise bat son plein et attirent chaque mois des milliers de nouveaux venus aux guichets de Pôle Emploi.
Malgré les nombreuses grèves et manifestations des personnels tout au long de l’année 2008, qui pointent du doigt la précipitation du gouvernement et le contexte socio-économiques peu propice à la réforme, le processus de regroupement des moyens humains et financiers s’engage dès 2009.
Pour les 43 000 salariés du Pôle Emploi, il convient désormais d’apprendre à travailler ensembles, tandis que le nombre d’inscriptions ne cesse de croître (6, 3 millions en 2009) et, avec lui, la charge de travail. Et la transition n’est pas si simple que cela pour des fonctionnaires venus d’administrations différentes et segmentées, dont les postes et les missions sont amenés à évoluer vers davantage de polyvalence. En outre, elle est compliquée par l’importance du turn-over : plus de 30% des salariés de Pôle Emploi ont une ancienneté inférieure à 5 ans. A cette difficulté de faire collaborer des fonctionnaires issus d’administrations différentes s’ajoute une refonte des procédures pour les chercheurs d’emploi. En effet, la modernisation du service passe également par le développement de la recherche d’emploi via internet et un serveur vocal. Néanmoins, cette évolution n’est pas sans poser de nombreuses difficultés : tandis que les offres papiers tendent à disparaître, les salariés de Pôle Emploi s’inquiètent de l’arrivée de ces nouveaux outils qui pénalisent les usagers les moins qualifiés, ceux qui maîtrisent mal l’informatique ou le français.
Le manque de préparation et la situation économique morose sont ainsi à l’origine d’une fusion violente, vécue douloureusement par les salariés comme les usagers. D’un côté comme de l’autre, on dénonce une dégradation de la qualité du service, un allongement du délai de l’inscription et de nombreux dysfonctionnement dans la gestion informatique (notamment dûs à la mise en place de logiciels communs aux deux organismes).
Ces obstacles à un rapprochement serein ont nourris une contestation larvée qui revient régulièrement dans l’actualité et le débat public. Sur ce point, la grève du 9 novembre dernier a constitué un moment fort en rassemblant un nombre historique de salariés du Pôle Emploi : 36% selon la direction, 50% selon les syndicats. Une autre mobilisation massive lui a succédé le 23 novembre, en protestation des 1800 suppressions de postes prévu en 2011, conséquences de la réduction par l’Etat dans le budget de la « Mission Travail Emploi », c'est-à-dire des crédits alloués aux politiques publiques de lutte active contre le chômage.
Un manque de moyens financiers
Ces coupes budgétaires, qui ne facilitent pas la restructuration d’un service public de l’emploi très sollicité par la Crise, participent d’un manque de moyens depuis longtemps décrié par les organisations syndicales et les salariés.
En plus des économies de productivité enregistrées grâce à la fusion, l’Etat mène depuis 2009, afin de réduire le déficit public, une politique drastique de réduction des dépenses. Les projets de lois successifs ont ainsi privés Pôle Emploi de 187 millions d’euros en 2009, réduit de 9,7% la prime à l’emploi (PPE) et supprimé celles à l’embauche pour les apprentis et les patrons de TPE.
Pis, on a renoncé au concept de « conseiller unique », qui prévoyait d’établir un meilleur suivi des chômeurs en limitant le nombre de dossiers à 50 par agent. De fait, la moyenne nationale est de 100,7 demandeurs pour un conseiller, avec de fortes disparités (de moins de 30 à plus de 200 dossiers/agent selon le contexte socio-économique des zones géographiques concernées).
La forte hausse du nombre d’arrêts maladie enregistrés parmi les agents de Pôle Emploi et une épidémie de suicide fin 2008/début 2009 ont achevé de traduire le malaise de cette administration.
Pour autant, le budget 2011 présenté au Parlement le 15 Novembre poursuit cette dynamique : il prévoit la suppression de 60 000 emplois aidés type CUI (Contrat Unique d’Insertion). En outre, il compromet un énorme enjeu pour le Pôle Emploi : la formation professionnelle. Et pour cause, ce dernier prévoit une réduction de 65% du crédit alloué à la rémunération de la formation professionnel.
Résultat de ces mesures, le budget de Pôle Emploi en 2011 s’élève à 1, 36 milliard d’euros, en baisse de près de 30% sur 2 ans.Pour les chômeurs les moins qualifiés, qui sont aussi les moins employables, la formation tout au long de la vie est pourtant un élément parfois indispensable au retour à l’emploi.
La formation des chômeurs peu ou pas qualifiés est en effet un point décisif pour leur retour à l’emploi. Pourtant, c’est un des gros points faibles du système français, auquel on reproche souvent de privilégier l’indemnisation des chômeurs plutôt que leur reconversion.
A ce titre, la suppression des offres papiers dans les agences Pôle Emploi, au profit de leur publication sur internet, semble peu judicieuse. Elle complique la recherche d’emploi des chômeurs qui ne maîtrisent pas les outils informatiques, ou le français écrit. De toute évidence, ce programme de virtualisation de la recherche d’emploi devrait être adossé à un programme de formation aux Nouvelles Technologies de l’Information et à des stages de perfectionnement linguistique. Sans cette implication plus grande en direction de la formation, Pôle emploi s’expose à entretenir une inégalité persistante entre ces usagers les moins formés et ceux qui sont les plus qualifié. En témoigne la sous-traitance de l’accompagnement des cadres, dévolu au secteur privé, ces derniers jugeant le service public incapable de répondre à leurs attentes.
La comparaison du cas français avec celui des pays scandinaves montre pourtant l’importance d’un système d’une formation continue efficace. Le Danemark fait ainsi figure de modèle en Europe avec son système de « flexisécurité » qui allie une relative souplesse en matière de licenciements avec de fortes indemnités chômage et un système de formations, obligatoires et/ou facultatives. Les chômeurs ont donc davantage de possibilités de formation. En revanche, s’ils sont mieux indemnisés, ils le sont moins longtemps qu’en France. La priorité donnée à la formation sert à dynamiser le marché de l’emploi en limitant la durée du chômage et en favorisant la rotation des emplois.
Cette politique, engagée dans la seconde moitié des années 90 au Danemark a permis d’atteindre le plein emploi en ramenant le chômage, de 10% en 1994, à 3,5% avant la crise (janvier 2008). La Finlande a imité cet exemple avec succès, voyant son chômage dégringoler de 17,5% en 94 à 6,5% en 2008.
Ainsi, et malgré une crise économique et financière qui remet en cause l’action des états pour l’emploi, il apparait clairement que le système français pâtit d’un manque d’engagement de l’Etat dans des politiques structurelles de formation. Si la situation hexagonale est d’ors et déjà préoccupante, il n’en reste pas moins que rien n’est jamais perdu en termes de capital humain. Gageons que la sortie de crise du Vieux Continent redonnera à France les moyens d’une politique ambitieuse du retour à l’emploi.
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